De Castebrie à Castel-Brie – Chapitre 3

L’embarquement

Le vent s’était levé dès l’aube, chassant la brume en grands voiles déchirées sur la mer. Au port de Caer Khol, un unique navire attendait, sa coque noire renforcée d’arkhal, ses voiles déjà tendues vers le large. Sur le quai, la délégation de Castebrie s’alignait en silence.

La Meute formait les premiers rangs, armure lustrée, capes noires voletant dans le vent. Derrière eux, les enchanteurs de l’Antre, porteurs de leurs sceaux et de leurs silences. Plus loin, les prêtresses et les scribes. Pas un mot ne s’élevait au-dessus du ressac.

Owain-Roderick, debout sur un muret, déroula lentement le parchemin de l’appel. Sa voix, ferme et posée, portait dans tout le port.

— Par ordre du conseil de l’Antre et sur volonté du prince Renan, la baronnie de Castebrie embarque ce jour pour Obéon. Que celles et ceux désignés répondent à l’appel.

Il leva les yeux vers la foule.

— Séguran de Castebrie.

— Présent, dit le jeune homme en avançant d’un pas.

— Isile Angharad.

— Présente, répondit la grande-prêtresse sans hausser la voix.

— L’Ours.

Un grognement sourd fut sa seule réponse.

— Elias de Liange. Séraphin Dambre. Héloïse Delaunois. Nilrem Nipmip. Aénor Lacchen. Sebille du Castel-Vermeil. Marko Baresco. Barnabé de Haut-Flanc. Sœur Nevica. Rolland Emzivad. Glloq Ailes-de-Nuit.

Les noms se succédaient, rythmant la tension comme une prière inversée.

Puis, un silence.

Owain fronça les sourcils.

— Gunter Draux ?

Pas de réponse.

— Mysterio Soleil-Noir ?

Silence, de nouveau.

Les regards se croisèrent. Certains soupirèrent. Isile leva les yeux au ciel. L’Ours croisa les bras.

Et puis, enfin, une silhouette déboula entre deux chariots, tunique de travers, bottes dépareillées.

— Présent !, haleta Gunter, un sandwich à la main.

— Moi aussi !, ajouta Mysterio, surgissant à sa suite, en équilibre précaire sur une caisse de vivres.

— Vous n’alliez tout de même pas partir sans moi ? Ce serait bien moins… intéressant.

Owain soupira sans un mot. L’Ours, lui, souriait franchement.

— Embarquement immédiat, dit Isile d’un ton sec.

La Meute ouvrit la marche. Un à un, les Castebriauds montèrent la passerelle, le cœur lourd ou exalté, mais le pas sûr.

Le navire n’attendait plus qu’eux.

Séguran fut parmi les premiers à franchir la planche. Il sentit, en posant le pied sur le pont, comme un décrochage dans le monde. Un passage. Il inspira profondément l’air salé, tendu de magie et d’inconnu.

L’Ours s’installa près du mât central, observant les manœuvres sans mot dire. À sa suite, Nilrem et Glloq inspectaient déjà les caisses d’arkhal soigneusement sanglées dans la cale. Plus loin, Aénor et Héloïse discutaient à voix basse, regardant l’horizon d’un œil inquiet.

Isile, elle, s’était arrêtée juste avant de monter. Elle fit face à la mer, bâton en main, et ferma les yeux.

— Puisse la Dame ancrer nos âmes, là où le sol fait défaut.

Puis elle monta, sans se retourner.

Sur le quai, Rolland Emzivad tentait tant bien que mal de faire entrer son baluchon dans une caisse qui manifestement n’était pas la sienne, sous l’œil consterné d’un mousse qui n’osait pas lui faire de remarque.

— Je veille la relique, je veille la relique, marmonnait-il, comme pour se convaincre que chaque objet pouvait en cacher une.

Mysterio s’arrêta à sa hauteur, lui donna une petite tape sur l’épaule et désigna la bonne direction.

— C’est par là, veilleur. La relique, c’est peut-être le navire lui-même.

— Ah… J’avais pas pensé à ça, répondit Rolland, visiblement ébloui par la révélation.

Gunter, lui, montait en sifflotant, un sandwich à la main, les yeux levés vers les voiles.

— Première fois sur un bateau ? demanda Elias en l’apercevant.

— Première fois qu’on m’y laisse monter, répondit Gunter avec un clin d’œil.

Enfin, Owain fut le dernier à monter. Il s’arrêta un instant sur la passerelle, jeta un regard au port, et ne dit rien. Mais il resta debout, un long moment, avant de poser enfin le pied sur le pont.

Le capitaine du navire, un elfe au regard pâle et à la langue rare, inclina la tête. La passerelle fut retirée.

Et le navire glissa doucement vers le large.

Les voiles claquèrent. Le bois gémit. La mer ouvrit un chemin noir et profond.

Castebrie ainsi que la délégation de Val Londro, Avalon, quittait la terre.

Et le Nouveau Monde s’approchait.

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