Texte apocryphe : certaines libertés ont été prises par rapport à la réalité des faits.
Une arrivée remarquée
Le campement prenait déjà des airs d’organisation. Les grandes maisons de Val Londro — Retz, Avaugour, Gwened, Loen, Ancenis et les autres — avaient dressé leurs tentes aux couleurs vives autour du port elfique de Caer Khol. Les feux du soir crépitaient, les cuisines fumaient, et des émissaires allaient et venaient entre les pavillons. Tous attendaient encore le signal du départ.
Alors, quand l’éclaireur annonça : « Castebrie », le silence s’installa.
Le convoi de Castebrie se déployait lentement dans le contre-jour rougeoyant. Bannières mauves et noires en tête, armures sombres luisant faiblement, visages fermés. La Meute ouvrait la marche, armure noire sous tabards mauves, silencieuse comme un seul corps. Derrière eux, les chariots de matériel, les chevaux bardés, les silhouettes des enchanteurs de l’Antre, drapés dans des étoffes sobres. Aucun artifice. Rien de plus que le nécessaire.
Puis vinrent les figures.
Owain-Roderick, le commandant de la Meute, montait un destrier noir aux crins nattés. À sa droite, Séguran, droit comme une lame, portait haut les couleurs de la maison. Plus loin, à pied, marchait l’Ours, toge lourde sur les épaules, ses pas rythmant ceux de Glloq, Nilrem et Aénor, à moitié absorbés dans leurs propres pensées. Et au centre, érigée comme un cairn au milieu du tumulte, chevauchait Isile Angharad, grande-prêtresse de Castebrie. Sa coiffe d’abbesse scintillait sous les derniers feux du jour, et ses lèvres murmuraient une litanie inaudible, adressée à ceux que l’on ne nomme pas.
Les autres baronnies, regroupées en cercle autour de la tente du Prince Renan, observaient en silence. Pas de fanfare. Pas d’ovation. Juste un frisson qui parcourut les rangs à leur passage.
Ils n’étaient pas attendus. Ils étaient nécessaires.
Une allée s’ouvrit d’elle-même, sans qu’un ordre ne soit donné. Les troupes de Gwened reculèrent de quelques pas, les émissaires de Retz s’écartèrent avec prudence, et les apprentis de Loen cessèrent brusquement de parler. Les chevaux de Castebrie avançaient au pas, martelant la pierre de leur cadence sourde.
Le convoi s’arrêta à la lisière du cercle principal, non loin du grand feu de rassemblement. D’un même mouvement, la Meute se déploya en demi-lune protectrice. Le silence persista encore quelques battements de cœur, avant qu’Owain-Roderick ne mette pied à terre. Il jeta un regard circulaire sur l’assemblée, puis s’adressa au prince d’une voix calme, sans élever le ton.
— Castebrie est prête.
Le Prince Renan, assis sous son dais de toile blanche, hocha la tête avec une lenteur mesurée. Son regard se posa un instant sur Isile, puis sur l’Ours, puis revint à Séguran. Un sourire bref, presque imperceptible, effleura ses lèvres.
— Elle est la dernière. Elle est à l’heure.
Aucun mot de plus ne fut échangé.
Un aide de camp s’approcha discrètement d’Owain pour lui indiquer les emplacements assignés. Les membres de la Meute commencèrent à installer les tentes, les enchanteurs se mirent à tracer au sol les premiers cercles de silence et de veille. La délégation s’ancrerait là, sur la roche, comme si elle l’avait toujours su.
Séguran sauta à bas de son cheval, une douleur familière lui lançant dans l’épaule. Il posa un instant la main sur l’encolure de sa monture, puis se retourna vers l’Ours.
— Nous serons convoqués ?
— Ce soir. Sous la tente du Conseil. Avant le coucher de la lune.
— Et d’ici là ?
L’Archiviste le fixa de ses yeux d’abîme, puis répondit simplement :
— Nous respirons.
Séguran acquiesça. Il se savait observé, jugé peut-être, par les autres nobles déjà installés, mais aucun ne s’approcha. Il n’y avait pas d’usage pour accueillir Castebrie. On les laissait prendre leur place, comme on laisse la nuit tomber.