De Castebrie à Castel-Brie – Chapitre 2

Le Veilleur

La toile battait doucement sous les bourrasques d’un vent salé. À l’intérieur, autour de la grande table de campagne, l’atmosphère était lourde. Les regards se croisaient sans se rencontrer.

— Si Retz obtient les faveurs du prince, murmura Isile, ce ne sera pas une simple faveur diplomatique. Ce sera une mise sous tutelle.

— On n’a jamais aimé nos enchanteurs, gronda Owain. Mais ils les toléraient. Là, ils s’organisent. Ils s’alignent. Et nous restons à l’écart.

— Ce port est sûr, et pourtant on nous presse d’embarquer comme des contrebandiers, dit calmement l’Ours. Pas de cortège, pas de proclamation. Juste un départ silencieux, presque furtif.

— C’est un piège, lâcha Séguran. Ou une épreuve.

Ils allaient continuer, chacun prêt à poser un mot de trop ou de travers, quand la tente s’ouvrit à la volée.

Un homme entra. Grand, solide, vêtu d’un manteau trop usé pour un noble et trop propre pour un vagabond. Son pas était franc, ses bottes détrempées, et son regard droit. Il s’avança comme s’il avait été attendu — ce qui, manifestement, n’était pas le cas.

Puis, d’une voix forte, projetée comme un appel à l’assemblée :

— JE SUIS VENU POUR VEILLER SUR LES RELIQUES CAR UNE RELIQUE NE DOIT PAS RESTER SANS VEILLEUR ET UN VEILLEUR NE DOIT PAS RESTER SANS RELIQUE JE VOUS DEMANDE DONC DE BIEN VOULOIR ME DIRE OÙ ELLES SONT JE VAIS ALLER DE CE PAS LES VEILLER MERCI BEAUCOUP BONNE JOURNÉE.

Silence. Instantané. Absolu.

Il resta là, parfaitement immobile, le regard fixé droit devant lui, comme à la parade. L’Ours haussa lentement un sourcil, posa sa coupe, puis, sans masquer l’amusement dans sa voix, demanda :

— Qui es-tu, voisin, pour demander une telle chose ?

— Rolland Emzivad, Monsieur. Dit l’Obstiné, Monsieur.

Un sourire passa furtivement sur les lèvres d’Isile.

— L’Obstiné, vraiment ? J’ai entendu parler de toi. Tu pars pour Obéon ?

— Oui M’dame.

Owain s’approcha, bras croisés.

— Tu sers quelle maison ?

— Aucune, M’sieur. Mon village n’avait pas de nom. On disait “ici”, et pour ailleurs, “là-bas”.

Un court silence, puis Owain hocha lentement la tête.

— Voilà un veilleur sans terre. Et nous, des reliques sans veilleur. Voilà qui rééquilibre les choses.

Isile s’était redressée. Elle s’adressa à lui avec gravité.

— Tu seras mis à l’épreuve. Avant, pendant, et après le voyage. Si tu es digne, tu resteras. Es-tu prêt à servir Castebrie ?

Rolland claqua des talons, le torse bombé.

— S’il y a des reliques à veiller, M’dame, je suis prêt à vous suivre jusqu’aux portes de l’enfer.

L’Ours grogna doucement, un rire grave, presque souterrain.

— Ça tombe bien. C’est par là qu’on passe.

Owain désigna la sortie d’un geste bref.

— Rends-toi utile. On parlera plus tard.

Rolland salua avec toute la rigueur d’un dévot en procession, exécuta un demi-tour précis et sortit de la tente sans attendre d’autre parole.

Un nouveau silence s’installa. Cette fois, moins lourd. Moins tendu. Puis Séguran lâcha, pensif :

— C’est peut-être lui notre vraie relique.

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