Texte apocryphe : certaines libertés ont été prises par rapport à la réalité des faits.
Au milieu des Bêtes
récit d’un héros de guerre, par Paulin Delaporte. Commentaire par la cour du Baron de la Nouvelle-Vry
Issu d’une famille de basse extraction, vivant de routines simples avec le plaisir du travail bien fait, je prenais plaisir au simplicité de la vie. Levée aux aurores avec le chant du coq, veillée tard le soir avec un alcool maison pour se réchauffer, la vie était terriblement routinière. Lorsque j’appris qu’un baronnet avait décidé de mener une colonisation sur les merveilleuses terres étranges d’Obéon, j’ai signé des deux mains le certificat d’asservissement colonial qui m’offrirait des terres sur le nouveau continent à la fin de mon contrat.
Affecté comme valet de castel à la Nouvelle-Vry, je n’imaginais pas échanger une routine pour une autre routine pire encore. Entre le vidage des pots de chambre et le nettoyage des draps tâchés, je devais également courber l’échine devant des nobliaux sans intérêts dont le seul désir était de courtiser la seule dame potable du coin. J’en venais à espérer que quelque chose se passe pour venir casser cette exécrable routine.
Les échauffourées avec les hommes-bêtes de la région prenaient de plus en plus d’ampleur au fil du temps. Causant plus de morts que ce que les bateaux pouvaient combler avec de nouveaux colons. Plusieurs échanges diplomatiques eurent lieu entre les chefs de guerre et les nobles, chacun restant sur ses positions et commettant autant d’impair d’un côté comme de l’autre amenant à un conflit ouvert et généralisé.
Aux premières loges du dernier échange diplomatique avec les hommes-bêtes d’Obéon, je pu activement participer à sa mise en œuvre pour que tout se déroule au mieux. La nourriture était servie, les boissons étaient distribuées. Tout avait été calculé pour apaiser les tensions. Et pourtant, un nobliau
stupide dit à voix hautes devant un homme-chèvre aux dents branlantes : « Je crois que celui-là il a baisé sa sœur ». Ni une, ni deux, il se prit un coup de corne bien senti dans les roustes, ce qui a amené une incompréhension générale, un temps de battement avant que ce ne soit l’hécatombe. (1)
(1) Annotation de la cour du Baron de la Nouvelle-Vry : Paulin était affecté aux latrines ce jour-là. Son récit est une divagation très détournée de la réalité de ces échanges diplomatiques complexes. Nous invitons le lecteur averti à se renseigner dans le rayon des récits historiques et informatifs relatant les faits du massacre de la première Nouvelle-Vry.
Un torrent de violence éclata dans le centre-ville et se répandit dans toute la ville comme un feu de broussaille incontrôlable. Je pris l’arme d’un noble tombé au combat et rejoignit la mêlée générale et chaotique dans le centre-ville. Donnant des coups d’estoc et de taille partout où je le pouvais, un regain d’énergie me frappa lorsque j’abattais mon premier ennemi, un colosse de 3 mètres de haut avec une tête de taureau. Les morts s’enchainaient autour de moi, j’en ai compté une vingtaine de visible et probablement bien plus sous le monceau de cadavre. Les alliés tombaient et je me retrouva bien vite seul. (2)
(2) La dernière fois que Paulin Delaporte a été vu le jour du massacre, c’était sur les quais de la colonie. Des hommes-bêtes lui couraient après tant dis que Paulin relâchait ses sphincters sur lui-même. Le pauvre homme fut assommé par les bêtes et nul ne le revit.
Epuisé, je n’avais plus la force de combattre les bêtes qui continuaient d’affluer en nombre autour de moi. Ils restaient à une distance respectueuse afin d’éviter un coup mortel que je pourrais leur infliger. Finalement, certains arrivèrent avec des longs bâtons encordés, les mêmes qu’on utilisait pour attraper un taureau véhément avec un collet au bout. Une fois immobilisé par ces monstres, un gigantesque colosse de race non identifiée et de plus de cinq mètres de haut s’approcha de moi. De son haleine rauque, il me souffla qu’il me provoquait en duel. Retenant un haut-le-cœur, j’acceptais son invitation et me préparait au combat. (3)
(3) A partir de ce chapitre, la fiabilité du texte ne peut être attestée.
Je compris vite que le duel serait un combat à mort. Emprunt d’une énergie nouvelle, je jeta mes armes à mes pieds et me mis en garde à mains nues. Surpris, le colosse chef de guerre se mit à rire et une odeur nauséabonde envahit l’assemblée. Profitant de cette distraction, je fonçais droit sur le colosse pour lui mettre une droite directement dans les roustes. Le colosse se plia en deux et je pu le projeter contre les cornes d’un homme-bouc, l’empalant et mettant fin à sa vie.
Bouches-bée, les hommes-bêtes de la tribu n’eurent d’autre choix que de reconnaitre ma supériorité et ils firent de moi leur nouveau chef de guerre. Sans toutefois vouloir prétendre à ce poste, je leur dis que j’accepterais une place d’honneur à la table de guerre, mais que je préfèrerais vivre reclus dans une petite communauté d’hommes-bêtes travailleurs. Soulagés, ils acceptèrent et je fus escorté jusqu’à ma nouvelle demeure.
A la tête d’une vingtaine d’homme-vache, je pus libérer quelques-unes de mes ouailles pour partir à la recherche d’une route menant à la civilisation pour que je puisse retrouver les miens. Sachant que cette recherche allait prendre du temps, je pris pour femme la plus belle des génisses et nous eurent quelques veaux ensemble. Renforçant ainsi mon lien diplomatique avec la tribu, me faisant accepter parmi les leurs.
Durant ces quelques années de paisibilité, j’en ai profité pour apporter le Céleste dans le cœur de la tribu. Je leur ai amené la lumière dans leur cœur sombre. Ils acceptèrent cette lumière quand ils virent que je ne leur voulait que du bien et que cette lumière les aiderait dans leur quotidien. Je leur apporta la charrue, la monnaie, l’écriture et même la connaissance de l’histoire du monde. Ma communauté devint une communauté rayonnante à travers les hommes-bêtes d’Obéon et tous reconnurent notre supériorité.
Au plus fort de mon règne, un miracle survint auprès de mes premières ouailles, les hommes-vaches. Ces derniers furent purement et simplement transformer en homme. Un rayon de soleil les frappa de plein fouet, aveuglant quiconque regardait dans cette direction. Lorsque la lumière s’estompa, se tenait debout des hommes et non plus des bêtes. Je louais donc le Céleste pendant 40 jours et 40 nuits. Au bout de cette période de contemplation, un de mes hommes arriva en trombe et m’annonça qu’il avait trouvé une route vers Bélème et que je pouvais partir dès demain.
Prêt à partir, je rassemblait mes plus fidèles serviteurs et prit le temps de leur dire au revoir un par un avec un mot personnalisé pour chacun d’entre eux. J’embrassais longuement ma femme-génisse et pris la peine de dire au revoir à mes nombreux enfants et petits-enfants, non sans laisser couler une larme de joie, mais aussi de tristesse car je ne les reverrais plus. Tel était mon destin. Je devais retourner parmi les miens et nos deux cultures, même si j’ai pu les éclairer, n’étaient pas compatibles sur le long terme. Je pris donc la route, seul, vers Bélème. (4)
(4) Il est plus que probable que Paulin eut été drogué pendant plusieurs années par les hommes-bêtes qui en firent un esclave. Son retour à la civilisation tiens plus du miracle que d’une réelle volonté de sa part. Il est suggéré que les hommes-bêtes le relâchèrent pour s’amuser et voir si un homme pouvait retrouver son chemin dans la nature sauvage d’Obéon.
Je fus accueilli par le Baron Anthoine la Nouvelle-Vry lui-même. Je lui racontait mon voyage jusqu’à Bélème et surtout que la seule chose qui m’avait permis de tenir autant d’année fut la pensée de pouvoir retrouver les miens un jour. Je fus amener dans un hôpital de fortune où l’on, m’ausculta. On me fit boire des potions, on me lava et on m’habilla. Je fus ensuite amener auprès du Baron pour un véritable repas digne d’un roi. (5)
(5) Le pauvre Paulin était dans un état pitoyable. La gamelle de soupe à la viande qu’il a reçue était probablement le seul vrai repas qu’il ait eut pendant ces mois d’esclavage. Il est à noter que les hommes-bêtes d’Obéon ne sont pas réputés prendre grand soin de leurs esclaves et que la survie de Paulin n’est due qu’à la chance.
Afin de me récompenser pour mon dévouement au Céleste, pour l’exceptionnelle œuvre de foi que j’ai mise en place durant mon règne au milieu des hommes-bêtes et pour avoir tout mis en œuvre pour sauvegarder la paix et retrouver la civilisation, le Baron Anthoine de la Nouvelle-Vry m’octroya le titre de Patricien de la Nouvelle-Vry, survivant du massacre, tueur de colosse, berger des hommes-vaches, seigneur des hommes-bêtes vouant un culte au Céleste. Je fus également nommer Chambellan de la Nouvelle-Vry dans la cour du Baron Anthoine. (6)
(6) En réalité, Paulin n’a été nommé que Patricien de la Nouvelle-Vry et Chambellan de la cour du Baron.
Mon récit est maintenant conté à travers tout Obéon comme le récit du paysan devenu seigneur en apportant la lumière du Céleste partout où l’obscurité la plus profonde est maîtresse. Les seigneurs eux-mêmes me reconnaissent comme l’un des leurs et m’invitent à leur table pour que je leur conte comment j’ai pu régner sur l’impossible afin qu’il puisse en tirer des leçons et prendre exemple.